24.11.10 | 12h34 lemonde.fr
La Maison de l'histoire européenne soutenue par un musée controversé
Roland Binet (Belgique)

Parmi les institutions soutenant cette initiative figure le Musée des occupations de Riga en Lettonie. J'ai vu la photo de M. Barroso dans le hall d'entrée de ce musée voué à illustrer les trois occupations de la Lettonie. Musée impressionnant par la qualité des photos, vidéos, objets et panneaux d'information qui y sont exposés en permanence.

Il est à noter que si la part belle est faite aux crimes commis par les Soviétiques, la part faite à la Shoah est plutôt restreinte. Pour l'Holocauste y domine entre autres une photo très connue prise à Liepaja, dans les dunes de Skede montrant deux femmes, deux jeunes filles et une gamine qui cache sa tête dans le flanc et le bras droits de sa mère. Toutes en sous-vêtements quelques moments avant leur mort par balle. Cinq pauvres femmes et filles parmi les 70 000 victimes juives de ce pays. Le nom du Letton Viktors Arajs est cité, cet homme ayant créé un commando sous l'égide de la SD, responsable selon certaines sources de 26 000 à 60 000 meurtres de Juifs.

On pourrait croire que l'équilibre entre victimes du communisme et du nazisme est respecté, s'il n'y avait, pour ce musée et la Lettonie en général, d'autres faits troublants.

Il y a tout d'abord ces photos, une de l'entrée des troupes allemandes à Riga avec la mention "après une année de terreur, la population accueille les Allemands comme des libérateurs", puis celles de Lettons sous uniforme SS. Il y a ce livre en leur honneur en vente à l'accueil du musée. Et, aussi, cette commémoration annuelle du 16 mars à Riga, toujours à la gloire de ces combattants SS du bolchevisme.

Que dit Efraim Zuroff à propos de la Shoah en Lettonie ? "Une part importante des Juifs assassinés dans les trois Etats Baltes a été tuée par des Balte, non par des Allemands ou des Autrichiens (…) Ces trois petits pays ont donc grandement contribué à la tentative d'anéantissement des Juifs européens." Qu'a écrit le même Zuroff à propos de la dernière marche d'obédience SS du 16 mars 2010 ? "En réalité, la cérémonie de mardi fut, en certains aspects, le sommet d'un iceberg très dangereux qui tente de récrire les livres d'histoire et crée une fausse symétrie en rendant égaux les crimes communistes et nazis. (…) le ministre letton des affaires étrangères, Maris Riekstins, a publié une déclaration officielle hier, dans laquelle il s'attaquait à ma critique de la marche et tentait de mettre sur un pied d'égalité les souffrances de toutes les victimes de la deuxième guerre mondiale, comme s'il n'y avait pas eu une différence entre ceux supportant le nazisme et ceux s'y opposant."

SUBJECTIVITÉ

Mon étude personnelle de la Shoah en Lettonie et la consultation d'une abondante documentation, historique, testimoniale et sur la Toile, m'ont appris, d'une part, qu'il n'y eut pas que le commando Arajs ni des Allemands responsables de la destruction des Juifs en Lettonie. Il y eut des civils, des policiers, des membres de groupes de défense autoproclamés (Aizsargi, Perkonkrust), des bataillons auxiliaires de police lettone, des Schutzmannschaften, des Hiwis et des Trawnikis (prisonniers de guerre soviétiques embrigadés pour les basses œuvres nazies).

Et, d'autre part, au Musée des occupations, j'ai acheté en septembre dernier un livre au titre évocateur "Unpunished Crimes – Latvia under three occupations" (Memento - Daugavas Vanagi). Le chapitre II traite des "occupations soviétiques et nazies". Il fait 194 pages au total. Cinq pages sont consacrées à l'Holocauste. Lorsqu'on cherche sur Google ce qu'est "Daugavas Vanagi", on s'aperçoit vite que son but unique est la remémoration des membres de la légion SS Lettone et l'aide à leur apporter.

Ne serait-il pas utile que monsieur Barroso se distancie publiquement d'une institution telle que le Musée des occupations à Riga ? Qui tout en prônant le traitement égal et la non-discrimination des victimes de tous les régimes totalitaires pratique une subjectivité au sein de son exposition permanente qui frise "la récriture de l'histoire" comme dirait un spécialiste de la Shoah et de la Lettonie durant l'Holocauste…

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