12/09/2016 à 09:47 lefigaro.fr
Au moins une dizaine d'anciens nazis échappent encore à la justice
Roland Gauron

Ajourné à deux reprises en raison de la santé chancelante de l'accusé, le procès d'Hubert Zafke, un ancien infirmier d'Auschwitz de 95 ans, doit reprendre lundi en Allemagne.

Le procès a déjà été ajourné à deux reprises depuis février. La comparution d'Hubert Zafke, un ancien infirmier d'Auschwitz, doit reprendre ce lundi au tribunal de Neubrandenbourg, en Allemagne. La reprise de l'audience reste toutefois suspendue à l'avis préalable d'un médecin urgentiste. Car l'accusé, aujourd'hui âgé de 95 ans, souffre d'une santé chancelante. Cette dernière est l'objet d'une querelle d'expert qui retarde depuis un an la tenue d'un procès. «Hypertension», «pensées suicidaires», «réaction de stress»: le dernier diagnostic qui date du mois de mars avait entraîné le renvoi de l'audience jusqu'au mois de septembre. «Mon client est mourant et se trouvera bientôt devant le juge suprême», s'était offusqué son avocat, Peter-Michael Diestel, interrogé par l'AFP à l'ouverture du procès.

Pendant de longues années, Hubert Zafke est parvenu à échapper à la justice. Il vivait depuis 1951 à proximité de Neubrandenbourg, où il a eu quatre fils. Il a travaillé jusqu'à sa retraite dans les moulins locaux, chargé de la lutte contre les animaux nuisibles. Derrière cette vie d'apparence banale se cache un passé inavouable. Hubert Zafke est en effet suspecté de complicité dans l'extermination d'au moins 3681 hommes, femmes et enfants juifs gazés dès leur arrivée dans le camp entre le 15 août et le 14 septembre 1944. L'acte d'accusation couvre l'arrivée de 14 convois de déportés en provenance de Lyon, Rhodes, Trieste, Mauthausen, Vienne et Westerbork. À bord de ce dernier train figuraient notamment la jeune Anne Frank et sa famille.

Le nom d'Hubert Zafke apparaît ainsi dans une liste d'une dizaine d'anciens criminels nazis encore libres, identifiés en 2016 par le centre Simon-Wiesenthal. Cette organisation qui s'est spécialisée dans la traque des derniers criminels nazis s'est lancée depuis 2002 dans une Opération Dernière Chance en vue de les faire condamner par la justice. Si les procédures se sont multipliées en Allemagne ces dernières années, aucun d'entre eux n'a pour le moment terminé derrière les barreaux. Certains échappent toujours à leur condamnation dans un pays étranger, tandis que d'autres n'ont même jamais été jugés.

Voici, outre le cas d'Hubert Zafke, «les dix criminels nazis les plus recherchés» par le centre Simon-Wiesenthal.

Helma MASS. - Elle est la seule femme présente dans la liste établie par le centre Simon Wiesenthal. Helma Mass vit à présent dans une maison de retraite à Neumünster, à environ 100 kilomètres au nord de Hambourg, où le quotidien Die Welt a retrouvé sa trace.

Selon l'acte d'accusation, consulté par le quotidien allemand, durant la guerre, la jeune femme aspirait par-dessus tout à devenir SS. D'avril et juin 1944, ses désirs sont exaucés. Après un passage à la SS-Nachrichtenschule (école des transmissions pour sous-officiers SS), cette Allemande sert brièvement comme opératrice radio à Auschwitz. La période correspond à l'«Opération Hongrie»: l'extermination massive des Juifs hongrois, à un rythme que jamais les chambres à gaz d'Auschwitz-Birkenau n'avaient atteint auparavant. Sa fonction, aussi anodine qu'elle peut paraître, comprenait par exemple la commande par radio du Zyklon B, un gaz mortel.

À présent âgé de 92 ans, Helma Mass doit être jugée cette année par un tribunal de Kiel sous le chef de «complicité de meurtres aggravés». Aucune date n'a été fixée à son procès. Là encore, la tenue de l'audience est suspendue à un avis médical.

Reinhold HANNING. - À la différence des deux premiers, cet ancien garde nazi du camp d'Auschwitz a déjà été jugé. En juin dernier, il a ainsi été condamné à 5 ans de prison pour «complicité» dans la mort d'au moins 170.000 personnes entre janvier 1943 et juin 1944. Tout au long du procès, Reinhold Hanning est resté silencieux, tête basse, les yeux rivés au sol. Il a seulement pris une fois la parole, pour demander pardon aux victimes: «J'ai honte d'avoir laissé survenir des injustices en toute connaissance de cause et de n'avoir rien fait pour m'y opposer.»

L'Allemand est le troisième condamné d'une vague de procédures entamées ces cinq dernières années sous le chef d'accusation de «complicité de meurtres aggravés», qui n'impose pas de prouver une participation individuelle aux crimes. En 2011, le garde du camp de Sobibor, Ivan Demjanjuk, a été condamné à cinq années de prison par un tribunal de Munich. Oskar Gröning, un ancien comptable du camp d'Auschwitz âgé de 94 ans, a lui écopé en juillet 2015 d'une peine de quatre ans de réclusion. Mais, à chaque fois, les condamnés ont tous fait appel de leur condamnation. Ivan Demjanjuk est finalement mort libre avant que la Cour fédérale de justice allemande ne statue sur son affaire.

Alfred STORK. - En 2013, cet Allemand a été condamné par contumace en Italie à la réclusion à perpétuité. À 93 ans, il n'a toutefois jamais été extradé par l'Allemagne. Cet ancien caporal de la Wehrmacht est accusé d'avoir participé le 24 septembre 1943 à l'exécution de 117 officiers italiens sur l'île grecque de Céphalonie. En 2005, Alfred Stork a reconnu devant des magistrats allemands avoir fait partie des pelotons d'exécution. Le massacre de la Division Acqui coûta la vie à 5170 soldats italiens après leur reddition aux troupes allemandes. Cet épisode dramatique intervenu après l'armistice italien est l'un des plus importants massacres de prisonniers de guerre avec celui des fosses de Katyn. Il a notamment inspiré le roman La Mandoline du capitaine Corelli ainsi qu'un film, sorti en 2001.

Johann Robert RISS. - C'est un des plus terribles massacres nazis perpétrés en Italie par les troupes nazies. Dans la matinée du 23 août 1944, les soldats de la 26e division blindée de l'armée allemande avaient fouillé les habitations de la zone de Padule di Fucecchio à la recherche de partisans, et tué tous les civils rencontrés sur leur chemin. 184 personnes avaient péri: 94 hommes, la plupart d'entre eux âgés, 63 femmes et 27 enfants.

Pour avoir pris un rôle actif dans ce massacre, le tribunal militaire de Rome a condamné en mai 2011 l'ex-sergent Johann Robert Riss à la prison à perpétuité. Il a été jugé par contumace, l'Allemagne refusant d'extrader ses ressortissants. À cette heure, l'intéressé n'a donc pas purgé aucun jour de prison. La justice bavaroise s'est toujours refusé à l'extrader.

Helmut OBERLANDER. - L'homme de 92 ans a appartenu pendant la Seconde Guerre mondiale à l'Einsatzgruppe D responsable de la mort de plus de 23.000 personnes. Après l'invasion allemande de l'URSS, ces unités mobiles d'extermination nazie ont tué plus de 2 millions de personnes, pour la plupart des Juifs, dans toute l'Europe de l'Est. Né en Ukraine de parents d'origine germanique, l'intéressé s'est toujours défendu en assurant n'avoir joué qu'un rôle d'interprète car il parlait allemand et russe.

Helmut Oberlander vit à présent au Canada où il est arrivé en 1954. Il en est devenu citoyen à part entière six ans plus tard. Seulement, ces deux dernières décennies, le gouvernement a tenté à trois reprises de lui retirer la nationalité canadienne en vue de l'extrader vers l'Allemagne. Ottawa juge qu'il a menti à son arrivée. En juillet dernier, la Cour suprême a finalement tranché en faveur d'Helmut Oberlander considérant qu'il avait été enrôlé de force.

Helmuth Leif RASMUSSEN. - À 91 ans, ce Danois vit maintenant dans la région de Copenhague sous un faux nom, Rasbøl. En octobre 2014, le livre En skole i vold (Le Livre de la violence) révélait qu'il avait été pendant huit mois entre 1942 et 1943 gardien dans le camp de concentration de Bobrouïsk, situé dans l'actuelle Bélarusse. Les auteurs, les historiens danois Therkel Straede et Dennis Larson, s'appuyaient sur un rapport de police de 1945. D'après eux, près de 1000 Danois ont servi à Bobrouïsk, où au moins 1400 Juifs ont perdu la vie.

Si l'intéressé a plus tard concédé avoir fait partie d'une unité volontaire créée par le parti nazi danois, il explique s'être rendu là-bas pour suivre un simple entraînement militaire. «Nous étions là que pour être formés au métier de soldat et n'avions rien à voir avec le reste», a-t-il affirmé au quotidien Berlingske. En juillet 2015, le directeur du centre Simon-Wiesenthal d'Israël, Efraim Zuroff, s'est rendu personnellement à Copenhague pour porter plainte contre lui.

Aksel ANDERSEN. - Cet autre Danois, qui vit aujourd'hui en Suède, est lui aussi passé entre 1942 et 1943 dans le camp de Bobrouïsk.

Algimantas DAILIDE. - Cet ex-officier de la police de Vilnius a participé à des rafles de Juifs. Après-guerre, le Lituanien immigre aux États-Unis. Algimantas Dailide sera finalement extradé en 2004 et jugé dans son pays d'origine. Il a été condamné à 5 ans de prison pour l'arrestation d'une douzaine de Juifs, femmes et enfants compris, qui tentaient d'échapper au ghetto de Vilna dans les années 1941-1944. Il a également été reconnu coupable dans l'arrestation de deux ressortissants polonais qui ont été emprisonnés pour des raisons politiques. En 2006, un tribunal de Vilna le dispensait de peine pour raisons de santé et considérant qu'il ne présentait plus une menace pour la société. À 95 ans, il vit désormais en Allemagne. En 2008, le quotidien israélien Haaretz l'a retrouvé dans la petite ville de Kirchberg, en Saxe.

Jakiw PALIJ. - À 94 ans, il est le dernier criminel nazi inquiété aux États-Unis. D'origine polonaise, il s'est vu retirer sa citoyenneté en 2003 pour avoir menti lorsqu'il a demandé un visa d'immigration en 1949.

De 1943 à 1945, il a servi comme garde SS dans le camp de Trawniki, en Pologne, où plus de 6000 Juifs ont été tués. Lui assure avoir été enrôlé de force. «En gardant les prisonniers détenus dans des conditions inhumaines à Trawniki, Jakiw Palij a empêché leur évasion et directement contribué à leur massacre éventuel aux mains des nazis», a tranché la procureur de New York, Roslynn R. Mauskopf.

Washington a par la suite cherché à l'extrader mais tous les pays susceptibles de l'accueillir ont décliné l'offre. Jakiw Palij vit toujours au deuxième étage de son modeste appartement de Jackson Heights.

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