Dimanche 21 avril 2013 lessakele.com
Les Pays Baltes, La Shoah Et L'antisémitisme.
Manfred Gerstenfeld interviewe Efraim Zuroff

“L’antisémitisme contemporain, dans les pays baltes, emprunte ses thèmes essentiels à l’antisémitisme traditionnel, qui avait cours avant la Seconde Guerre Mondiale. On y trouve des accusations, à propos du contrôle supposé des Juifs sur l’économie mondiale, le système bancaire et les médias.

“Au cours des dernières décennies, de nouvelles manifestations d’antisémitisme sont venues s’y ajouter. Les problèmes les plus sensibles, dans les relations contemporaines entre les Juifs et les pays baltes concernent la Shoah. Ils comprennent aussi la façon dont ces problèmes ont été traités, depuis 1990-1991, quand la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie ont retrouvé leur indépendance ».

Efraïm Zuroff est Directeur du Centre Simon Wiesenthal (SWC) en Israël. Il est mondialement reconnu comme étant le « dernier chasseur de Nazis ». Zuroff a passé l’essentiel de sa vie professionnelle à rechercher des criminels de guerre nazis et les preuves nécessaires à les faire condamner.

Il observe que : “Une question historique essentielle concerne les crimes lors de la Shoah, dans lesquels des collaborateurs locaux des Nazis ont participé dans ces trois pays.  Des Lithuaniens, des Lettons et des Estoniens ont assassiné, autant leurs voisins juifs que des Juifs étrangers déportés dans leurs pays, pour y être tués. Les unités de la police et de la sécurité baltes ont également été envoyées ailleurs, en Biélorussie et en Pologne, afin d

’assister les massacres des Juifs qui s’y déroulaient.

“Les plus grandes frictions avec ces pays sont provoquées par l’absence de poursuites et de sanctions des criminels de guerre nazis locaux, le problème des restitutions municipales et personnelles et des récits contradictoires sur les évènements, au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Les pays baltes perçoivent ces nationaux qui se sont opposés au communisme comme des héros, indépendamment du fait qu’ils aient tué des Juifs et/ou soutenu les Nazis.

“La seule différence d’attitudes entre ces trois pays baltes est l’ampleur et l’intensité des problèmes mentionnés ci-dessus. Ceci est lié à la taille des communautés juives d’avant-guerre, leur importance au sein de leurs sociétés respectives, autant qu’au sein du monde juif. Après le retour de Vilnius et de ses environs à la Lituanie, à l’automne 1939, environ un quart de million de Juifs vivaient dans ce pays. A l’époque, il y avait 90 000 Juifs en Lettonie et 4.500 en Estonie.

“Aucun des pays baltes n’a honnêtement accepté d’être confronté à sa participation dans les crimes liés à la Shoah. Ils n’intègrent pas, dans le cadre de leurs programmes d’éducation portant sur la Shoah, des faits exacts concernant l’implication de collaborateurs locaux dans les massacres, y compris l’ampleur massive de cette participation, le fait que tous étaient volontaires, la cruauté incroyable dont ils ont fait preuve en de si nombreuses occasions, aussi bien que le fait que ces meurtres étaient fondamentalement motivés par le patriotisme.

“Dans les très rares cas, où une participation locale est reconnue, elle est, habituellement attribuée uniquement à des éléments criminels ou marginaux, même si la collaboration avec les Nazis dans le meurtre des Juifs comprend toutes les strates de la société balte, un phénomène qui est particulièrement notoire en Lituanie. En plus de cela, survient l’identification erronée de tous les Juifs avec les Communistes haïs.

“La situation en Lituanie diverge de celle prévalant en Lettonie et en Estonie, où il existe des minorités russes numériquement significatives. Elles ont des agendas politiques clairs. Elles s’opposent fermement aux efforts locaux pour réécrire l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale et la Shoah, autant que pour dissimuler les crimes des collaborateurs locaux des Nazis. En Lettonie et Estonie, les médias russophones locaux donnent une large expression à cette opposition. Il n’y a, cependant, pas de Lettons et d’Estoniens d’origine qui soient partenaires de ces démarches. La presse locale autochtone a, aussi, constamment suivi une ligne « patriotique » et fortement nationaliste. Ces trois pays autorisent le déroulement des célébrations des nazis survivants, des néo-nazis et des ultranationalistes

“Une source de conflit corollaire provient de la publication de la Déclaration de Prague. Elle fait la promotion de l’équivalence fallacieuse entre les crimes nazis et communistes, et appelle à une vaste gamme de mesures (d'effacement des différences). La Déclaration refuse de reconnaître l’exceptionnalité de la Shoah, qui est fondée sur la totalité d’un projet suivi par les Nazis pour exterminer le peuple juif. Jamais un tel plan n’a jamais été envisagé, ni même tenté contre aucun autre peuple. Une seconde caractéristique unique de la Shoah est la façon dont elle a été mise en œuvre – par massacre industriel de masse, sans précédent dans l’histoire humaine. La Lituanie, en particulier, a joué un rôle majeur dans la création et la promotion de la Déclaration de Prague. Sa fonction à la Présidence tournante de l’Union Européenne, qui débutera en juillet 2013, pourrait, par conséquent, devenir hautement problématique.

“Les communautés juives sont de petite taille. Il y a, en Lituanie, 3 500 à 4000 Juifs. En Lettonie, il y en a, entre 10 000 à 12 000 et, en Estonie, 3.500. Dans ces deux derniers pays, la plupart des Juifs qui y vivent, sont nés ailleurs. Ces communautés jouent un rôle minime dans la vie de leurs sociétés locales.

“Pour l’essentiel, il n’y a eu, jusqu’à présent, aucune relation que ce soit, entre le lamentable palmarès des trois pays baltes concernant les sujets liés à la Shoah, l’existence d’un antisémitisme local « traditionnel » et aucune sorte d’antisionisme. L’extrême-droite, qui fait de l’incitation contre les Juifs, a très peu de pouvoir politique. Pourtant, en Lituanie, elle a une certaine influence sur les partis majoritaires, concernant leurs agendas nationalistes.

“Pour ce qui concerne le sentiment anti-israélien dans les pays baltes, il est souvent exprimé à travers des commentaires sur les portails d’actualité sur Internet, mais les catalyseurs expliquant une telle hostilité ou une critique démesurée d’Israël, sont presque toujours fondés sur des thèmes liés à la Shoah. Il n’y a, jusqu’à présent, aucune différence entre les divers partis politiques, dès qu’il est question de sujets concernant Israël. Au contraire, ces pays ont constamment cherché à resserrer des relations politiques et commerciales, de manière étroite, avec Israël. C’est, à la fois, ironique et triste de constater que le refus presque total d’Israël de leur adresser ses critiques pour leur attitude affligeante concernant les problèmes référant à la Shoah, pourrait bien avoir pavé la route, en vue du maintien de bonnes relations avec ces trois pays baltes ».


Le Dr. Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans. Il a publié 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski

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